Après les débats présidentiels de 2017 et de 2022 entre Emmanuel Macron et Marine le Pen, un débat relativement similaire à l’échelle des élections européennes a eu lieu le 23 mai dernier entre Gabriel Attal et Jordan Bardella[1], deux principaux représentants des mêmes partis politiques Renaissance (RE, ex En Marche) et Rassemblement National (RN, ex Front National). Les deux débats présidentiels de 2017 et de 2022 n’avaient pas été à la hauteur des enjeux nationaux, et à la suite du deuxième débat, certains s’étaient demandés si Marine Le Pen avait réellement souhaité mettre en difficulté Emmanuel Macron tant les affaires d’alors et l’actualité lui en offraient l’opportunité.
Organisé par la chaîne France 2 à près de deux semaines des élections européennes, le débat entre un tel représentant du parti au pouvoir (RE), Gabriel Attal, et le président du RN, Jordan Bardella, interpelle en démocratie. Il est étonnant que le Premier Ministre Attal, censé conduire la politique du Gouvernement, débatte avec un candidat aux élections européennes alors qu’il ne s’y présente pas lui-même et en lieu et place de la tête de liste de son parti politique Valérie Hayer. Cela s’explique d’autant moins qu’un débat de plus de 2h avait déjà été organisé entre Bardella et Hayer 3 semaines plus tôt sur BFM TV.[2] Il n’est précisément pas concevable que le Premier Ministre descende de manière aussi directe dans l’arène politique en conférant une plus grande visibilité et crédibilité à la tête de liste d’un seul parti politique au détriment des 36 autres têtes de listes[3] dont une trentaine est quasi-inexistante dans les grands médias.
Contrairement à l’élection présidentielle, le gendarme de l’audiovisuel français Arcom[4] n’applique pas pour les élections européennes une égalité du temps de parole aux listes candidates dans les principaux médias. L’Arcom applique un principe dit d’équité sur la base des résultats des listes ou partis aux dernières élections nationales, des indications de sondages d’opinion ainsi que de leur contribution à l’animation du débat électoral. Ces critères favorisent ainsi les candidats déjà connus ou ceux mis en avant dans des sondages parfois irréguliers et aux résultats parfois contredits dans les faits. Pas plus tard que la semaine dernière, la Commission des sondages a remis en cause un sondage publié sur le site internet du journal Libération au motif que ce sondage ne portait que sur une partie des listes candidates.[5] En pratique, la mise en œuvre de ces critères demeure assez confuse.
S’agissant du critère de contribution à l’animation du débat électoral qui inclut les activités des partis ou listes sur les réseaux sociaux, il est intéressant dans son principe, mais ambigu dans sa mise en oeuvre. Il est intéressant parce qu’il permet de prendre en compte les activités sur les réseaux sociaux et sur le terrain des candidats non visibles dans les grands médias, mais demeure ambigu parce que l’implication dans l’animation du débat électoral peut être également appréciée au regard de la visibilité dans les mêmes médias. Un critère plus large de contribution à l’animation du débat politique national, et pas exclusivement électoral, aurait été plus intéressant. En ce sens, l’illustration la plus emblématique de l’injustice du système est offerte par la quasi-invisibilité médiatique de la liste UPR conduite par François Asselineau. La chaîne YouTube de l’UPR compte par exemple 452k abonnés, soit le plus grand nombre d’abonnés de toutes les chaînes YouTube des partis politiques français, loin devant celle de La France Insoumise (LFI), en deuxième position, avec 114k abonnés.
L’organisation du débat entre Attal et Bardella semble procéder de la volonté des tenants du système politico-médiatique de préparer d’avance les esprits à un futur remake d’un débat présidentiel potentiellement stérile. Non seulement Attal et Bardella approuvent la lecture singulière des événements majeurs en cours (soutien à l’Ukraine, crise au Proche Orient) dont la contestation n’est pas tolérée par les médias mainstream, mais les deux hommes ont également des parcours qui ne rassurent pas au regard de l’importance des enjeux pour un pays qui a perdu toute souveraineté sur les questions stratégiques au profit d’une technocratie européenne.
Nommé Premier ministre à seulement 34 ans, Gabriel Attal a connu une ascension éclair. En mai 2023, il est sélectionné (adoubé) pour participer à la conférence annuelle du groupe Biderberg, un club atlantiste et globaliste extrêmement influent, discret voire secret où se côtoient notamment des membres de familles royales d’Europe, des personnalités du monde de la finance et du monde politique.[6] 7 mois après sa participation au Bilderberg, Gabriel Attal est nommé Premier ministre, le plus jeune de l’histoire de la Ve République. Ce parcours n’est pas sans rappeler celui d’Emmanuel Macron, invité à la conférence annuelle du groupe Bilderberg en mai 2014.[7] 3 mois seulement après sa participation, Macron entre pour la première fois au Gouvernement comme Ministre de l’Économie, et moins de 3 ans plus tard, à l’âge de 39 ans, est élu Président de la République, soit le plus jeune Président depuis la création de la République Française.
Attal serait donc à un clone de Macron dont il partage la vision politique, celle de leurs mécènes et maîtres, celle qui contribue à affaiblir la France. En 2019, Philippe de Villiers avait tiré la sonnette d’alarme. Selon cet ancien secrétaire d’Etat et député, l’ancien Premier Ministre François Fillon lui avait confié à propos du groupe Bilderberg : « nous n’avons pas le choix, ce sont ces gens-là qui nous gouvernent », puis lors de la présidentielle de 2017 : « le Bilderberg a préféré Macron qui correspond beaucoup mieux au profil mondialiste ».[8]
S’agissant de Jordan Bardella, tête de liste RN aux élections européennes, on peut rester pantois face au parcours singulier de celui qui est ainsi propulsé au-devant de la scène politique et médiatique. Non seulement Bardella est le seul candidat à avoir bénéficié d’un débat avec l’actuel Premier Ministre, il est également le seul à avoir débattu avec l’ancien Premier Ministre Manuel Valls, qui n’est pas candidat aux européennes, le 9 avril dernier.[9] On peut s’étonner qu’un jeune bachelier de 28 ans soit choisi pour incarner l’expérience, la hauteur de vue et la maturité nécessaires à l’exercice des fonctions les plus éminentes.
Bardella n’a ni la légitimité des études supérieures qui donnent des clés de compréhension de la complexité du monde ; ni la légitimité d’une solide expérience professionnelle, étant particulièrement connu pour son absentéisme au Parlement européen ; ni celle de l’expérience personnelle que confère la vie en général au vu de son âge. Son ascension fulgurante paraît difficilement déconnectée de sa relation conjugale avec sa compagne Nolwenn Olivier, nièce de Marine Le Pen et petite-fille de Jean-Marie Le Pen. Il faut rappeler que Bardella a pris la présidence du Rassemblement National en 2022 face à Louis Aliot, lui-même ex-conjoint de Marine Le Pen. Le RN ressemble ainsi à une entreprise familiale, d’abord dirigée par le père, puis par la fille et désormais par le gendre de la fille aînée.
En somme, les citoyens français doivent réaliser qu’ils ne choisissent plus vraiment leurs dirigeants, mais qu’une oligarchie présélectionne les dirigeants et opposants apparents, et les leur « imposent » par voie de manipulation médiatique. Les temps actuels exigent des citoyens un effort continu dans la recherche de la vraie information pour se faire une opinion éclairée et sauvegarder la démocratie ou du moins ce qui en reste.
[1] Le Monde, 24 mai 2024, https://www.youtube.com/watch?v=QhVhbtxlSiY
[2] BFM TV, 2 mai 2024, https://www.youtube.com/watch?v=OY2WvPg35-Y
[3] Toute l’Europe, 24 mai 2024, https://www.touteleurope.eu/institutions/elections-europeennes-2024-voici-les-candidats-tetes-de-liste-en-france/ ; Vie publique, 27 mai 2024, https://www.vie-publique.fr/en-bref/294201-elections-europeennes-2024-38-listes-candidates
[4] Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique.
[5] Arcom, Recommandation n° 2024-01 du 6 mars 2024, https://www.arcom.fr/sites/default/files/2024-03/Arcom%20-%20Reco%20%C3%A9lections%20europ%C3%A9ennes%202024_0.pdf ; Commission des sondages, 24 mai 2024, https://www.commission-des-sondages.fr/hist/communiques/index.htm
[6] Bilderberg, 2023, https://bilderbergmeetings.co.uk/about/
[7] Public Intelligence, May 31, 2014, https://publicintelligence.net/2014-bilderberg-participant-list/
[8] Emission « Les Terriens », 16 mars 2019, https://www.youtube.com/watch?v=1wzWX5g44pU
[9] Le Figaro, 9 avril 2024, https://www.youtube.com/watch?v=l4sgGLnIcwo
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