Plusieurs mouvements et organisations sont en train de mettre la pression sur les maires de grandes villes américaines pour supprimer totalement ou partiellement les budgets consacrés à la police, conformément à l’appel “Defund the police” consécutif à la mort de George Floyd entre les mains de la police à Minneapolis le 25 mai dernier. Cependant, cet appel qui se distingue de l’appel à la réforme de la police dont le principe fait presque l’unanimité, pourrait aller à l’encontre même d’une réforme de la police. Dans certaines villes, une réforme de la police peut se caractériser par une meilleure redistribution des ressources internes aux départements de la police. Dans d’autres villes en revanche, la réforme de la police exige une mobilisation de moyens financiers supplémentaires.
Hormis les autres propositions légitimes de ces mouvements qui permettraient de lutter contre le racisme, leur position spécifique sur le financement de la police semble plutôt radicale. Il n’est donc pas étonnant que même des maires issus du parti démocrate, plutôt favorables à ces mouvements, y opposent une certaine résistance. Ces maires démocrates sont conscients que ces mouvements représentent une mobilisation nationale contre la réélection du républicain Donald Trump. Seulement, ils ne souhaitent pas prendre le risque politique d’un éventuel début de chaos au niveau local dont la zone autonome de CHAZ (Capitol Hill Autonomous Zone) à Seattle était une forme d’illustration. Ils ne souhaitent pas prendre le risque d’une remise en cause de leur position par les citoyens qui pourrait avoir des conséquences électorales au niveau local. Un positionnement politique parfois incohérent est ainsi maintenu par ces maires dans l’attente de l’élection présidentielle. Cette incohérence pourrait pourtant contribuer à renforcer un climat social déjà tendu dans le pays. L’illustration de cette situation dans laquelle se trouvent certains maires membres du parti démocrate est offerte par le statu quo prévalant dans les trois plus grandes villes américaines à savoir : New York, Los Angeles et Chicago.
A New York, le maire démocrate Bill de Blasio a été sensible à l’appel “Defund the police”. Le 3 juin 2020, plusieurs centaines de manifestants se sont rassemblés devant la résidence officielle du maire pour protester contre la brutalité policière.[1] Bill de Blasio a annoncé sa volonté de réduire le budget de la police et de réaffecter les fonds supprimés à la jeunesse et aux services sociaux.[2] Toutefois, lorsque le conseil municipal de New York a proposé de couper 1 milliard de dollars sur les 6 milliards du budget annuel de la police, Bill de Blasio s’y est opposé. Cette réduction du budget de l’institution policière serait inédite dans l’histoire du NYPD (New York City Police Department). Le contenu de cette proposition budgétaire s’inscrit précisément dans le cadre de l’appel général “Defund the police”, à l’encontre d’une reforme réfléchie et qui devrait être adaptée à la situation sécuritaire de chaque ville. Cette réduction budgétaire couvrirait notamment : la suppression des fonctions de policiers telle que la sécurité dans les écoles ; la réduction du nombre de policiers par un gel des recrutements et le non-remplacement des départs à la retraite ; ou encore la limitation de la rémunération des heures supplémentaires.[3] Il est pourtant légitime de questionner l’impact de telles mesures sur la lutte contre le racisme au sein des forces de l’ordre. Le maire de New York a donc décidé de s’opposer à cette coupe budgétaire qu’il juge substantielle. Déterminé, il menace désormais de bloquer des centaines de millions de dollars attribués de façon discrétionnaire aux membres du conseil municipal en cas d’adoption dudit plan de réduction budgétaire.[4]
A Los Angeles, le maire démocrate Eric Garcetti s’est également prononcé en faveur de l’appel “Defund the police”. Toutefois, ce dernier a agi de façon réservée en ne décidant de réduire les fonds consacrés au LAPD (Los Angeles Police Department) que de près de 150 millions de dollars sur un budget de 1,8 milliards de dollars. Un des acteurs de l’organisation de la manifestation Black Lives Matter à Los Angeles a ainsi affirmé que cette réduction des fonds de la police n’était pas suffisante.[5] En outre, les activistes ont écrit au maire pour réclamer une coupe budgétaire minimale de 250 millions de dollars.[6] Comme à New York, le 2 juin 2020, une manifestation a été organisée devant la résidence du maire de Los Angeles.[7] Si cette forme de protestation peut être compréhensible dans certains cas, elle représente néanmoins une incursion dans la vie privée et familiale qui peut s’avérer traumatisante pour une famille ou pour des enfants par exemple. En l’espèce, il serait plus avisé de manifester devant la mairie par exemple car c’est la responsabilité de la personne du maire qui est visée et non sa personne propre. Ce type de manifestation constitue une pression psychologique relativement forte exercée sur les autorités municipales. A tout le moins, le recours aux manifestations devant le domicile des autorités de façon stratégique et répétitive est critiquable.
A Chicago, plusieurs manifestants se sont également rassemblés pour demander la suppression des fonds affectés au CPD (Chicago Police Department). Le budget de la police de Chicago est de 1,8 milliards de dollars.[8] Comme à New York et à Los Angeles, plusieurs personnes ont manifesté près de la résidence de la maire démocrate noire, Lori Lightfoot, le 31 mai 2020.[9] Ancien procureur fédéral, la maire de Chicago s’est prononcée pour une réforme de la police, mais contre la suppression totale ou partielle du budget de la police. Elle a ainsi affirmé que l’appel “Defund the police” était un « bel hashtag », mais qui ignorait comment une réforme s’opère. Elle a ajouté que cet appel remettrait en cause les efforts accomplis en matière de diversité au sein de la police et irait à l’encontre des préoccupations des résidents de Chicago.[10] Par ailleurs, une autre protestation s’est tenue le 24 juin à Chicago pour demander que la police ne soit plus présente dans les écoles publiques de la ville et que le contrat de 33 millions de dollars liant ces écoles publiques à la police soit précisément annulé. Les agents de police présents dans les écoles sont appelés “School Resource Officers” (SROs) et y sont chargés de la sécurité et de la prévention des crimes. Par 4 voix contre 3, le Conseil Scolaire de Chicago (Chicago Board of Education), l’instance qui détermine la politique relative aux écoles publiques, a décidé de maintenir le contrat avec la police, allant dans le sens de la maire de Chicago et des 70 écoles dont les conseils locaux composés de parents d’élèves, de professeurs et de leaders communautaires s’étaient tous prononcés l’année dernière pour le maintien de la présence de policiers au sein de leurs établissements.[11] Il est relativement surprenant que l’appel à la suppression même partielle des fonds alloués à la police soit lancé à Chicago, une ville dont le taux d’homicides est nettement supérieur à la moyenne nationale. En 2016, Chicago avait connu un taux d’homicides et de victimes de fusillades supérieur aux taux de villes de New York et de Los Angeles réunies.[12] Durant le week-end récent du 20 juin qui marquait la célébration de la fête des pères, 104 personnes ont été victimes de fusillades à Chicago, lesquelles se sont soldées par la mort de 15 personnes dont 4 enfants et un enfant de 3 ans.[13] Il est par conséquent difficile d’envisager une réduction des moyens accordés à la police dans cette grande ville.
Pour conclure, l’Amérique a besoin d’une réforme de la police pour résoudre la question raciale. En revanche, l’appel des activistes à la suppression générale du financement des départements de police sans discernement et sans prise en compte des spécificités sécuritaires locales peut être dangereux, en particulier dans une période d’effervescence sociale. Le caractère invraisemblable de l’appel “Defund the police” permet de dresser le parallèle avec l’hydroxychloroquine dont plusieurs médias affirmaient à tort la dangerosité pendant la crise sanitaire du Covid-19. Il est fort probable que cette demande spécifique dont Black Lives Matter est le principal promoteur disparaisse du débat public national au lendemain de l’élection présidentielle de novembre prochain.
[1] New York Times, June 3, 2020, https://www.nytimes.com/video/us/100000007173186/nyc-protest-gracie-mansion.html; PIX 11, June 3, 2020, https://www.pix11.com/news/local-news/thousands-protest-past-curfew-outside-gracie-mansion
[2] Daily News, June 26, 2020, https://www.msn.com/en-us/news/politics/as-nyc-council-members-call-to-defund-the-police-de-blasio-goes-after-discretionary-funding-sources/ar-BB15YgPd?ocid=msedgdhp
[3] New York Daily News, June 12, 2020, https://www.nydailynews.com/news/politics/ny-nypd-billion-dollar-budget-cut-city-council-20200612-wtcuyj7q7fe2lnvvv4htltrnju-story.html
[4] Daily News, June 26, 2020, https://www.msn.com/en-us/news/politics/as-nyc-council-members-call-to-defund-the-police-de-blasio-goes-after-discretionary-funding-sources/ar-BB15YgPd?ocid=msedgdhp
[5] Views Post, June 18, 2020, https://viewspost.com/reduction-du-financement-ou-abolition-de-la-police-aux-etats-unis-progres-ou-anarchie/#_ftn1
[6] Los Angeles Times, June 5, 2020, https://www.latimes.com/california/story/2020-06-05/eric-garcetti-lapd-budget-cuts-10000-officers-protests
[7] LAist, June 2, 2020, https://laist.com/2020/06/02/protest-outside-mayor-garcettis-house-getty-black-lives-matter-peoples-budget.php
[8] Block Club Chicago, June 9, 2020, https://blockclubchicago.org/2020/06/09/chicago-police-budget-funding-lightfoot-progressive-caucus-cpd-defund-police/#:~:text=The%20city%20budgeted%20nearly%20%241.8,its%20most%20recent%20annual%20report.
[9] Block Club Chicago, May 31, 2020, https://blockclubchicago.org/2020/05/31/huge-protest-march-streams-past-mayor-lori-lightfoots-logan-square-home/
[10] Politico, June 24, 2020, https://www.politico.com/news/2020/06/24/chicago-lightfoot-police-defund-336414
[11] CBS Chicago, June 25, 2020, https://chicago.cbslocal.com/video/4602551-chicago-school-board-votes-against-removing-chicago-police-officers/; ABC 7, June 24, 2020, https://abc7chicago.com/cps-police-chicago-in-schools-protest/6263891/ ; WSILTV, June 24, 2020, https://wsiltv.com/2020/06/24/chicago-school-board-votes-to-keep-police-in-schools/
[12] Chicago Tribune, August 29, 2016, https://www.chicagotribune.com/news/breaking/ct-august-most-violent-shootings-chicago-20160829-story.html
[13] Chicago Sun-Times, June 22, 2020, https://chicago.suntimes.com/crime/2020/6/20/21297470/chicago-fathers-day-weekend-shootings-homicide-gun-violence-june-19-22-104-shot ; Hotair, June 22, 2020, https://hotair.com/archives/john-s-2/2020/06/22/chicago-weekend-104-shot-14-killed-including-5-children/
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