Contexte Général
L’histoire des nations est souvent caractérisée par la grandeur et la décadence. Comme pour toute nation, les Etats-Unis ont une richesse et une faiblesse. Ce qui est appelé faiblesse ici est une réaction historique et hystérique, systémique et spécifique de vieux démons auxquels chaque nation est confrontée et qu’elle doit activement combattre pour conserver sa grandeur et éviter sa déchéance. L’histoire des États-Unis en révèle deux : la monnaie dans son acception singulière, et le racisme avec pour point d’orgue la guerre de sécession qui a failli partitionner le pays au 19e siècle.
De façon générale, le leadership politique porte sur la nécessité de partager une vision de la société, des objectifs à réaliser et un idéal vers lequel tout le monde doit tendre. Le leadership politique apporte des réponses aux questions suivantes : pourquoi existons-nous en tant que collectivité ? Quel est notre but ? Quelle doit être notre action ? Dans la plupart des cas, certains éléments de réponses sont inscrits dans les constitutions des Etats, en particulier dans leur préambule. Contrairement aux pays où la constitution a été beaucoup plus une copie des textes étrangers que le reflet des réalités locales et la résultante des consensus locaux, en occident, les constitutions parfois séculaires, comme celle des Etats-Unis, sont le reflet de l’âme des nations. Les constitutions y sont ainsi des instruments permettant de comprendre la société et d’anticiper les défis.
A titre d’illustration, le préambule de la Constitution française du 4 octobre 1958 en vigueur évoque la notion d’égalité[1], là où le préambule de la Constitution américaine du 17 septembre 1787 n’en fait aucune mention. Ceci induit une différence d’approche dans la résolution des problèmes. Ainsi, un leadership politique portant en son cœur la notion d’égalité serait plus mobilisateur en France qu’aux Etats-Unis. De même, l’idée de perfectionnement de l’union, contenue dans le préambule de la Constitution des Etats-Unis[2] et présentée comme le premier but de la création de ce pays, y est plus mobilisatrice qu’en France. Le dictionnaire Français Le Petit Larousse définit l’union comme une association ou une combinaison de différentes choses, de personnes. C’est une volonté affirmée et sacrée aux Etats-Unis d’accepter et de transcender les différences pour tendre vers les mêmes idéaux. D’ailleurs, l’autre devise des Etats-Unis est « E pluribus unum » qui signifie « De plusieurs, un seul ». Il n’est donc pas étonnant que les Etats-Unis soit par exemple un pays d’immigration.
Grâce à l’idée forte de l’union évoquée dans le préambule de la Constitution, la société américaine est un exemple remarquable d’intégration des cultures diverses. L’insertion des communautés diverses y produit des résultats plus probants qu’ailleurs. Les enfants issus de parents étrangers qui naissent et grandissent aux Etats-Unis se sentent pleinement américains, en dépit de la nationalité étrangère de leurs parents. L’union est également une soupape de sécurité au problème du racisme. Pendant la guerre de sécession qui a constitué une menace substantielle à l’existence des Etats-Unis, la question de l’abolition de l’esclavage au Sud a été une victoire qui a façonné la nation américaine sous le leadership d’Abraham Lincoln, considéré comme le meilleur président de l’histoire du pays.
La Question Noire
A la suite de la mort de George Floyd entre les mains de la police de Minneapolis le 25 mai 2020, des manifestations ont éclaté dans plusieurs villes des Etats-Unis.[3] Quelle que soit l’appréciation qui peut en être faite, une telle mobilisation rappelle que le racisme demeure une question centrale dont le traitement est nécessaire pour consolider la nation américaine. Ces manifestations marquent l’échec des leaders politiques démocrates et républicains dans la correction de l’injustice sociale et raciale. L’Amérique a été savamment organisée pour embrasser les communautés, mais il existe des failles sur lesquelles elle doit désormais se pencher. Les failles structurantes du règlement de la question noire sont principalement de nature policière, judiciaire et financière. Ces raisons non-exhaustives permettent de mettre en évidence une forme de chaîne qui lie la population afro-américaine : à un bout de la chaîne, il y a les pratiques policières, au milieu de la chaîne se trouve le système judiciaire pénal, et à l’autre bout de cette chaîne, le système pénitentiaire et l’exploitation économique de la population carcérale.
1. Les pratiques policières
La police américaine tire ses origines de quelques institutions antérieures dont les slave patrols ou patrouilles des esclaves. Historiquement, dans les Etats du Sud où l’économie reposait essentiellement sur le travail des esclaves, les patrouilles d’esclaves avaient été légalement établies avec pour mission principale de surveiller les esclaves. Ces patrouilles étaient spécifiquement chargées de trois (3) missions : la poursuite, l’arrestation et le retour des esclaves fugitifs auprès de leurs maitres ; l’organisation d’une forme de terreur dans le but de dissuader les révoltes d’esclaves ; et le maintien d’une forme de discipline pour les esclaves travailleurs qui étaient soumis à une justice sommaire en dehors du cadre de la loi. Les patrouilles des esclaves ont duré 150 ans et ont pris fin en 1865 avec l’abolition de l’esclavage. Néanmoins, à la fin de la guerre de sécession, les départements de police dans les Etats du sud avaient conservé certains aspects des patrouilles d’esclaves et la profession policière s’est développée à partir des pratiques d’antan.[4]
S’il y a plus de Blancs tués par la police que de Noirs, la réalité aujourd’hui est que rapporté aux pourcentages des Blancs (60,4%)[5] et d’Afro-Américains (13,4%) au sein de la population américaine, le taux des Noirs américains tués par la police est deux fois plus élevé que celui des Blancs américains.[6] Pour la seule année 2015, le site Mapping Police Violence répertorie l’identité et les circonstances de décès de 104 Noirs tués par la police alors qu’ils n’étaient pas armés.[7] L’examen des vidéos d’arrestations de Noirs conduit à questionner les techniques d’interpellation policières. Le bon sens est souvent heurté par le caractère disproportionné de la force déployée souvent par plusieurs policiers contre un seul individu non armé. Dans les cas de George Floyd à Minneapolis, de Manuel Ellis mort entre les mains de la police à Tacoma le 3 mars 2020[8], de Eric Garner qui a subi le même sort à New York le 17 juillet 2014[9] ou encore de Freddie Gray décédé le 19 avril 2015 à Baltimore[10], les victimes ont exprimé le fait qu’ils ne pouvaient plus respirer avant d’expirer, d’où l’expression “I can’t breathe” scandée dans les manifestations. En l’espèce, les interpellations policières avaient donc conduit les agents de l’ordre à étouffer les victimes à mort, ce qui prouve un emploi non proportionné de la force par des fonctionnaires censés être entrainés et rompus aux méthodes d’arrestation. L’absence d’une appréciation du risque pendant l’arrestation, l’absence d’écoute des individus interpellés qui déclarent souffrir et l’emploi d’une force excessive de façon abusive sont des éléments qui doivent appeler à une réforme des pratiques policières. C’est une anomalie caractérisée que tant d’individus perdent la vie entre les mains des policiers censés les protéger.
Par ailleurs, plusieurs organisations pointent également l’existence de biais raciaux au sein de la police et l’usage du profilage racial de la population. Une étude réalisée par un professeur de sociologie de l’Université de Yale explique que les cas de meurtres de policiers par des suspects Noirs augmenteraient immédiatement des réponses policières discriminatoires à l’encontre des Noirs, alors qu’il n’en va pas de même lorsque des policiers Blancs sont abattus par des Blancs ou par des Hispaniques.[11] D’une part, les autorités policières devraient veiller et écarter les brebis galeuses au sein des forces de l’ordre ; d’autre part, la police devrait être mieux formée pour faire face aux biais raciaux. Selon un rapport spécial de 2006 du Bureau des Statistiques Judiciaires (BJS) du ministère américain de la Justice, la formation des policiers consacre 60h sur l’utilisation des armes et 51h sur l’auto-défense, contre seulement 8h sur les stratégies communautaires de police et 8h sur la médiation et gestion de conflits ou encore 4h sur l’histoire du maintien de l’ordre.[12]
En outre, les statistiques montrent que dans la grande majorité des cas d’abus policiers ayant entrainé la mort, les forces de l’ordre ne sont pas réellement inquiétées par la justice, ce qui peut constituer un élément de déresponsabilisation de certains policiers.[13] La défense médiatique des policiers est souvent la même : la victime a opposé une résistance ou a réagi de façon violente. Or les policiers sont censés, en qualité de professionnels de la violence légitime, savoir maitriser des civils non armés sans pour autant que la mort s’en suive. Il serait donc nécessaire que les cas de morts entre les mains de la police fassent l’objet d’une enquête par un organe indépendant de la police. Dans l’Etat de New York, un décret de 2015 a établi un procureur spécial compétent pour les cas de victimes non armées tuées par la police.[14] A la suite de la mort de George Floyd, les parlementaires démocrates comptent présenter une proposition de loi allégeant notamment les modalités de poursuite judiciaire des policiers en cas de conduite inappropriée et interdisant l’utilisation de l’étranglement.[15] De son côté, la Maison Blanche annonce également une réforme de la police.[16]
Cependant, si certaines pratiques policières peuvent constituer des causes structurantes du racisme provenant de policiers, il ne peut pas être affirmé que la majorité des policiers sont racistes. Il est donc également important de ne pas faire de l’amalgame, de s’appuyer sur les policiers exemplaires et de rappeler en cette période de trouble le rôle de l’institution policière dans la protection de la population et dans le combat contre la criminalité. Pourtant, plusieurs voix appellent désormais à réimaginer le concept même de la sécurité publique. Il y a ici deux tendances. Certains appellent à la réduction du financement de la police et à la réaffectation des fonds publics vers les services sociaux. A Los Angeles par exemple, le maire a décidé de réduire les fonds consacrés au département de la police de près de 150 millions de dollars pour un budget qui devait passer à 1,86 milliards de dollars. D’autres demandent le démantèlement pur et simple de la police. A Minneapolis où George Floyd est décédé, 9 des 12 conseils municipaux ont ainsi annoncé un plan de démantèlement du département de la police.[17] Dans cette ville, une organisation communautaire dénommée MPD150[18] focalisée sur l’abolition de la police locale a également pris une ampleur médiatique depuis la mort de George Floyd. Parmi les partisans de la remise en cause du financement de la police, il y a notamment Patrisse Cullors, co-fondatrice du mouvement Black Lives Matter. Dans une interview accordée à CNN, celle-ci affirme que les fonds publics destinés à la police doivent être utilisés pour soutenir les personnes et services dans les communautés marginalisées.[19] Il y a également le directeur du Centre de Politique Noire de l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA), Isaac Bryan.[20] L’UCLA gère un projet des droits civils qui a été financé par plus d’une vingtaine de fondations dont les plus puissantes au monde comme les Fondations Open Society de George Soros, la Fondation Bill & Melinda Gates, la Fondation Ford ou encore la Fondation Rockefeller.[21] Pour conclure, l’idée croissante de démanteler ou d’affaiblir la police parait dangereuse. Sans le travail des forces de police, il est assez clair que le chaos pourrait s’installer dans le pays. Dans ce cas, la solution pour rétablir l’ordre serait la proclamation de la loi martiale que plusieurs redoutent à juste titre.
2. Le système judiciaire pénal et la politique d’incarcération de masse
La justice pénale américaine est reconnue pour la mise en œuvre d’une politique d’incarcération de masse avec des sentences longues.[22] Les Etats-Unis comptent actuellement près de 2,3 millions de prisonniers, soit la population carcérale la plus importante dans le monde. Le pays représente moins de 5% de la population mondiale, mais 20% de la population carcérale mondiale.[23] Tout a commencé dans les années 1970 avec la mise en place d’une politique pénale répressive dans le pays. Entre l’adoption de cette politique et aujourd’hui, la population carcérale est précisément passée de 330.000 à 2,3 millions de personnes, soit une augmentation de près de 700%. Au total, le système judiciaire américain contrôle près de 7 millions d’individus si l’on inclut les personnes faisant l’objet de mesures d’incarcération alternatives (liberté conditionnelle, réduction de peine…).[24] Cependant, les conditions posées à ces dernières personnes sont si strictes qu’elles finissent souvent par les violer et à retourner en prison. Selon le Conseil National de Recherche (NRC), un organisme gouvernemental, l’augmentation exponentielle de la population dans les prisons d’Etat entre 1980 et 2010 est liée à ce changement de politique des années 1970 et non à une quelconque augmentation du taux de criminalité.[25] Plusieurs chercheurs pointent ainsi l’inefficacité de la politique d’incarcération de masse et appellent à une réduction de la population carcérale.[26]
Par ailleurs, le système judiciaire pénal américain est caractérisé par de fortes disparités raciales. Les Noirs représentent ainsi 40% de la population carcérale alors qu’ils ne constituent que près de 13% de la population américaine.[27] Un rapport sur le système judiciaire pénal américain de mars 2018 adressé à l’ONU met en relief ces disparités raciales.[28] Ce rapport explique que le système judiciaire désavantage les Afro-Américains et les pauvres. Il note que les Afro-Américains sont victimes de biais de la part des procureurs qui sont plus enclins à inculper les personnes de couleur que les Blancs de crimes passibles de peines lourdes. Les procureurs fédéraux, par exemple, sont deux fois plus susceptibles d’inculper les Afro-Américains que les Blancs pour des infractions passibles d’une peine minimale obligatoire.[29] C’est ici l’intérêt de prendre en compte des situations d’extrême détresse familiale que peuvent engendrer des sanctions pénales excessives. C’est ici la nécessité d’intensifier des programmes de diversité dans la formation des procureurs et d’encourager les Noirs à embrasser les carrières judicaires pour mener ce changement de fond. En 2014, une étude a établi que 95% des procureurs qui sont les principaux acteurs en matière pénale sont des Blancs. Cette étude précise que sur les 2.437 procureurs que comptent les Etats-Unis, seulement 61 sont des Noirs.[30]
Les disparités raciales sont également causées par le système de caution judiciaire que doivent payer les individus inculpés pour bénéficier d’une liberté dans l’attente du procès et d’une décision de justice. Le but du versement d’une caution judiciaire est de s’assurer que les individus n’échappent pas à la justice. La population noire étant particulièrement touchée par la pauvreté n’est pas souvent capable de payer cette caution et donc se retrouve en prison pour des raisons financières, subissant la double peine sociale et carcérale. Ainsi, 70% des personnes en prison ne font pas l’objet d’une condamnation, elles n’ont simplement pas eu les moyens de payer la caution.[31] Autrement dit, la justice donne un écho à l’injustice sociale et raciale, là où elle devrait a minima prendre en compte la situation financière des individus inculpés dans les décisions de mise en liberté dans l’attente des décisions finales des juges. En somme, c’est au stade du dépôt de la caution judiciaire que le gros de l’effort devrait être porté pour réduire la population carcérale. Cependant, les entreprises privées qui font du profit en se portant caution pour le compte de justiciables et qui représentent plus de 2 milliards de dollars[32] s’opposent à la réforme.[33] Il faut egalement noter le phénomène des prisons privées pour qui les prisonniers constituent une forme de clientèle. Ces prisons gèrent une population carcérale croissante, estimée en 2017 à plus de 120.000 personnes.[34]
En outre, se pose également la question des lois de privation du droit de vote (Disenfranchisement laws) des individus coupables de crimes et condamnés à une peine d’emprisonnement de plus d’un an (felony). Selon des statistiques établies en 2014, la quasi-totalité des Etats aux Etats-Unis interdisent le droit de vote aux prisonniers. La majorité des Etats interdisent le droit de vote aux personnes faisant l’objet de mesures alternatives à l’incarcération. Quatre Etats privent les condamnés du droit de vote de façon définitive, c’est-à-dire y compris après l’accomplissement de la peine. Cependant, le plus choquant, c’est que si chaque État a mis en place une procédure de restauration du droit de vote des ex-condamnés, la plupart de ces procédures sont si lourdes que peu en bénéficient.[35] Ainsi, près de 2,5% d’américains, soit 6,1 millions de potentiels votants, sont privés du droit de vote en raison d’antécédents de condamnations pénales. Les Noirs sont également ici les plus impactés : 1 Noir sur 13 se trouve dans cette situation, soit quatre fois plus que le taux des autres américains.[36] Il en résulte une fragilisation de l’impact politique des communautés noires dans la société.
En somme, les politiques d’incarcération à grande échelle, couplées à des sentences longues, ont non seulement des effets douteux sur la réduction de la criminalité, mais elles rendent difficile la réinsertion sociale des prisonniers. Pourtant, l’objectif prioritaire des peines privatives de liberté devrait consister à corriger les hommes dans le but de leur accorder une seconde chance, non à les briser davantage ou définitivement. L’augmentation de l’incarcération a eu pour principal effet de dévaster les familles et les communautés noires sur les plans politique et socio-économique et c’est encore le cas aujourd’hui.
3. Le système pénitentiaire et l’exploitation économique de la population carcérale
Le treizième amendement de la Constitution américaine stipule : « Ni esclavage ni servitude involontaire, excepté comme punition pour un crime dont une personne aura été dûment condamnée, ne doivent exister aux États-Unis ni dans aucun des territoires soumis à leur juridiction »[37]. Cette disposition prévoit ainsi que l’esclavage est aboli sur le territoire américain, sauf dans le cadre d’une condamnation pénale pour crime. Le treizième amendement ouvre ainsi une voie à des pratiques rétrogrades dans les milieux pénitentiaires. De façon précise, le treizième amendement a rendu le travail possible en milieu pénitentiaire. En 1979, le Congrès des États-Unis a promulgué le programme de certification pour l’amélioration de l’industrie pénitentiaire (Prison Industry Enhancement Certification Program, PIECP)[38] qui permet aux entreprises américaines d’avoir recours au travail en prison. Avec la surpopulation carcérale, le recours à la main d’œuvre des prisonniers a permis de bâtir une industrie pénitentiaire à plus d’un milliard de dollars.[39] Plusieurs grandes compagnies privées ont ainsi eu recours au travail des prisonniers pour augmenter leurs profits tels que IBM, Boeing, Motorola, Microsoft, Dell, Hewlett-Packard, Intel, AT&T, Macy’s, Target, Revlon, Nordstrom ou encore Pierre Cardin.[40]
L’existence de ces intérêts financiers plaide dans le sens du maintien des politiques d’incarcération de masse. Or, comme précisé plus haut, les Noirs représentent 40% de la population carcérale alors qu’ils ne constituent que près de 13% de la population américaine. Les Noirs sont donc les premières victimes de l’expolition économique en milieu pénitentiaire et en donnent voire en révèlent la dimension raciale. Ce qui est scandaleux, ce n’est pas qu’une opportunité soit accordée à des prisonniers de gagner de l’argent, mais c’est le salaire de misère que ceux-ci perçoivent, en moyenne entre $0.14 et $1.41 l’heure.[41] Ce qui est davantage scandaleux, c’est que le travail effectué par les prisonniers pour le compte d’entreprises publiques et privées n’est parfois pas du tout rémunéré. C’est notamment le cas dans certains Etats du Sud (Alabama, Arkansas, Floride, Géorgie, Mississippi, Caroline du Sud, Texas)[42], une survivance sans doute de l’esclavage qui y régnait au 19e siècle, comme il a été déjà souligné plus haut.[43] Enfin, ce qui est avilissant, c’est le fait que le travail dans les prisons américaines est forcé. En effet, le refus des prisonniers de travailler les expose à des punitions comme le confinement solitaire ou encore l’annulation des visites familiales. En somme, le treizième amendement de la Constitution américaine a permis un esclavage des temps modernes dans les prisons américaines.[44]
Conclusion
La question noire aux Etats-Unis est liée à celle de la pauvreté. Les Noirs américains représentent 22% du taux national de pauvreté tandis que ce taux est de 19% chez les Hispaniques (Latinos) et de 9% chez les Blancs américains.[45] Néanmoins, la pauvreté n’est pas le facteur principal de compréhension de la question noire. En effet, le taux de pauvreté des Hispaniques n’est pas très éloigné de celui des Noirs américains, même s’il est vrai que rapporté au pourcentage de la population nationale, les Hispaniques représentent 18,3% de ladite population[46] contre 13,4% seulement pour les Noirs Américains.
Au-delà de la réalité sociale des Noirs américains, les Afro-Américains sont confrontés à une chaîne allant des pratiques policières jusqu’au système pénitentiaire en passant par le système judiciaire. A titre de comparaison nationale additionnelle, les Hispaniques qui sont pourtant plus nombreux que les Noirs comptent nettement moins de morts par la police[47] et moins de population en prison.[48] Au regard de leur pourcentage faible au sein de la population américaine, les Noirs sont les premières victimes des dérives de ces institutions et en révèlent ainsi la dimension raciale voire raciste. Le racisme aux Etats-Unis est une question sérieuse que ni les démocrates ni les républicains n’ont pu résoudre. Les fortes tensions sociales apparues au sein de la société américaine à la suite de la mort de George Floyd rappellent la nécessité d’une réforme de l’institution policière, du système judiciaire pénal ainsi que l’abolition du travail forcé dans les prisons. Cette dernière question est moins abordée sur l’échiquier politique et médiatique et la mention des entreprises qui recourent à la main d’œuvre des prisonniers est un sujet qui semble tabou. Pourtant, les considérations financières sont très souvent la racine des maux et c’est particulièrement le cas aux Etats-Unis.
Enfin, si la colère exprimée par la population et les manifestations sont légitimes, les dégradations matérielles ne sont pas souhaitables et même contre-productives. Elles sont en effet autodestructrices et susceptibles d’occulter le débat sur les causes structurantes de l’injustice sociale et raciale qui sont de nature judiciaire et financière. Parce que la question raciale est sérieuse, elle ne doit pas non plus faire l’objet d’une récupération politicienne dans le but unique d’influer sur l’élection présidentielle de novembre prochain, sans résolution véritable. De même, les appels au démantèlement de la police soutenus par certains médias et organisations revêtent un caractère anarchique. Ils sont dangereux parce qu’ils peuvent entrainer le chaos et remettre in fine en cause la démocratie elle-même.
[1] « La République offre aux territoires d’outre-mer qui manifestent la volonté d’y adhérer des institutions nouvelles fondées sur l’idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité… » Préambule, Constitution française du 4 octobre 1958.
[2] « Nous, Peuple des Etats-Unis, en vue de former une union plus parfaite… » Préambule, Constitution américaine du 17 septembre 1787.
[3] ABC News, June 10, 2020, https://abcnews.go.com/US/timeline-impact-george-floyds-death-minneapolis/story?id=70999322
[4] National Law Enforcement Museum, July 10, 2019, https://lawenforcementmuseum.org/2019/07/10/slave-patrols-an-early-form-of-american-policing/
[5] US Census Bureau, July 2019, https://www.census.gov/quickfacts/fact/table/US/RHI825218#RHI825218
[6] Forbes, May 28, 2020, https://www.forbes.com/sites/niallmccarthy/2020/05/28/police-shootings-black-americans-disproportionately-affected-infographic/#5458196d59f7 ; National Public Radio (NPR), May 31, 2020, https://www.npr.org/2020/05/29/865261916/a-decade-of-watching-black-people-die
[7] https://mappingpoliceviolence.org/unarmed
[8] NBC News, June 5, 2020, https://www.nbcnews.com/news/us-news/death-man-tacoma-wash-who-said-i-can-t-breathe-n1225601
[9] ABC News, July 16, 2019, https://abcnews.go.com/US/years-eric-garners-death-back-case-movement-sparked/story?id=63847094
[10] New York Times, December 4, 2015, https://www.nytimes.com/2015/12/05/us/baltimore-police-trial-freddie-gray.html
[11] Yale University, Institution for Social and Policy Studies, https://isps.yale.edu/research/publications/isps16-11
[12] Vox, June 1, 2020, https://www.vox.com/2020/6/1/21277013/police-reform-policies-systemic-racism-george-floyd
[13] NBC News, March 13, 2019, https://www.nbcnews.com/news/nbcblk/police-officers-convicted-fatal-shootings-are-exception-not-rule-n982741
[14] New York Government, July 8, 2015, https://www.governor.ny.gov/news/governor-cuomo-signs-executive-order-appointing-nys-attorney-general-special-prosecutor-cases
[15] NPR, June 8, 2020, https://www.npr.org/2020/06/08/871625856/in-wake-of-protests-democrats-to-unveil-police-reform-legislation
[16] Reuters, June 10, 2020, https://www.msn.com/en-us/news/politics/trump-may-use-executive-order-to-address-policing-white-house/ar-BB15i6uM?ocid=msedgntp
[17] The Washington Post, June 8, 2020, https://www.msn.com/en-us/news/us/9-minneapolis-city-council-members-announce-plans-to-disband-police-department/ar-BB159zvz?ocid=msedgntp
[18] MPD150, https://www.mpd150.com/about/
[19] CNN, June 8, 2020, https://www.cnn.com/2020/06/06/us/what-is-defund-police-trnd/index.html
[20] CNN, June 8, 2020, Supra
[21] UCLA, The Civil Rights Project, https://www.civilrightsproject.ucla.edu/about-us/acknowledgements
[22] Pour un examen détaillé de la situation carcérale américaine par Etat : The Sentencing Project, https://www.sentencingproject.org/the-facts/#map
[23] Prison Policy Initiative, January 16, 2020, https://www.prisonpolicy.org/blog/2020/01/16/percent-incarcerated/
[24] https://www.prisonpolicy.org/reports/pie2020.html
[25] The Sentencing Project, November 5, 2018, https://www.sentencingproject.org/publications/long-term-sentences-time-reconsider-scale-punishment/
[26] The Sentencing Project, March 8, 2018, https://www.sentencingproject.org/publications/can-wait-75-years-cut-prison-population-half/
[27] Prison Policy Initiative, March 24, 2020, https://www.prisonpolicy.org/reports/pie2020.html
[28] The Sentencing Project, April 19, 2018 https://www.sentencingproject.org/publications/un-report-on-racial-disparities/
[29] The Sentencing Project, April 19, 2018, Supra
[30] Women Donors Network (WDN), July 7, 2015, https://womendonors.org/new-wdn-study-documents-the-paucity-of-black-elected-prosecutors/ ; https://womendonors.org/wp-content/uploads/2015/07/press-release.pdf
[31] The Nation, October 19, 2017, https://www.thenation.com/article/archive/america-is-waking-up-to-the-injustice-of-cash-bail/
[32] IBISWorld, June 2019, https://www.ibisworld.com/united-states/market-research-reports/bail-bond-services-industry/
[33] The Appeal, July 27, 2017, https://theappeal.org/bail-bond-industry-fights-back-against-reform-b4bacb510140/
[34] The Sentencing Project, October 24, 2019, https://www.sentencingproject.org/publications/private-prisons-united-states/ ; The Sentencing Project, August 2, 2018, https://www.sentencingproject.org/publications/capitalizing-on-mass-incarceration-u-s-growth-in-private-prisons/
[35] The Sentencing Project, April 28, 2014, https://www.sentencingproject.org/publications/felony-disenfranchisement-laws-in-the-united-states/ ; Vera, February 16, 2018, https://www.vera.org/blog/how-systemic-racism-keeps-millions-of-black-people-from-voting
[36] Vera, February 16, 2018, Supra
[37] “Neither slavery nor involuntary servitude, except as a punishment for crime whereof the party shall have been duly convicted, shall exist within the United States, or any place subject to their jurisdiction”, US Constitution, 13th Amendment, https://constitutionus.com/
[38] US Department of Justice, Bureau of Justice Assistance (BJA), https://bja.ojp.gov/program/prison-industry-enhancement-certification-program-piecp/overview
[39] The Economist, March 16, 2017, https://www.economist.com/united-states/2017/03/16/prison-labour-is-a-billion-dollar-industry-with-uncertain-returns-for-inmates ; Aljazeera, September 9, 2017, https://www.aljazeera.com/indepth/opinion/2017/09/slavery-prison-system-170901082522072.html
[40] Global Research, December 15, 2019 https://www.globalresearch.ca/the-prison-industry-in-the-united-states-big-business-or-a-new-form-of-slavery/8289
[41] Prison Policy Initiative, April 10, 2017, https://www.prisonpolicy.org/blog/2017/04/10/wages/
[42] Newsweek, August 28, 2018, https://www.newsweek.com/prison-slavery-who-benefits-cheap-inmate-labor-1093729
[43] The Gainesville Sun, May 26, 2019, https://www.gainesville.com/news/20190526/unpaid-prison-labor-continues-to-power-florida ; Mother Jones, January 6, 2020 https://www.motherjones.com/crime-justice/2020/01/alameda-santa-rita-jail-aramark-unpaid-wages-lawsuit/
[44] The Atlantic, September 21, 2015, https://www.theatlantic.com/business/archive/2015/09/prison-labor-in-america/406177/
[45] Kaiser Family Foundation (KFF), 2018, https://www.kff.org/other/state-indicator/poverty-rate-by-raceethnicity/?currentTimeframe=0&selectedDistributions=white–black–hispanic–asiannative-hawaiian-and-pacific-islander–american-indianalaska-native&sortModel=%7B%22colId%22:%22Location%22,%22sort%22:%22asc%22%7D
[46] US Census Bureau, July 2019, https://www.census.gov/quickfacts/fact/table/US/RHI725218
[47] Statista, June 5, 2020, https://www.statista.com/statistics/585152/people-shot-to-death-by-us-police-by-race/
[48] Prison Policy Initiative, May 28, 2014 https://www.prisonpolicy.org/reports/rates.html ; Statista, April 1, 2020, https://www.statista.com/statistics/816699/local-jail-inmates-in-the-united-states-by-race/
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