Il y a des moments où l’histoire s’accélère. Utiliser des digues pour en changer le cours, c’est agir à ses dépens. L’Afrique de l’Ouest est manifestement rentrée dans une période d’ébullition. Si la multiplication des coups d’Etat dans cette région d’Afrique peut être a priori et en théorie déplorée, en pratique et en l’espèce, ils sont surtout le révélateur du rejet des démocraties de façade implantées dans plusieurs pays d’Afrique francophone, contrôlées par des forces extérieures au détriment des populations locales.
Mali, Burkina Faso, Guinée, Niger, force est de constater que les nouveaux régimes interviennent dans un contexte géopolitique marqué par trois puissants facteurs : le terrorisme dans le Sahel qui menace la survivance des États de la sous-région, la demande en souveraineté des peuples qui coïncide avec un rejet des puissances occidentales, en particulier de la France dont le rôle dans la lutte contre le terrorisme est perçu comme ambigu voire complice, et la montée en puissance des BRICS avec une Chine offensive sur le plan commercial et une Russie, partenaire militaire crédible qui prospère sur les erreurs de l’occident.
Ces nouveaux régimes politico-militaires sont soutenus par les populations, ce qui leur confère une forme de légitimité, le peuple étant au demeurant le véritable souverain, surtout lorsque les institutions établies dysfonctionnent. Le coup d’Etat du 26 juillet au Niger s’inscrit dans ce contexte géopolitique. Si certains affirment que le général Tiani a pris le pouvoir pour éviter un éventuel limogeage, il apparaît que lui et les forces qui l’entourent semblent désormais transcendés par le soutien populaire et par un mouvement historique de prise de conscience collective et de libération des peuples d’Afrique francophone.
Les réactions occidentales contre le Niger semblent moins motivées par la menace terroriste, la démocratie ou encore la santé de l’ancien président Bazoum que par le contrôle du pays, stratégique sur les plans militaire et économique. Les États-Unis et la France considèrent en effet le Niger comme un allié essentiel pour endiguer la Chine et la Russie sur le continent, ce qui implique également une forme de contrôle des aspirations du peuple lorsque celles-ci s’opposent à leurs intérêts.
Ainsi, les États-Unis disposent de 1.000 soldats au Niger, d’une grande base de drones appelée base aérienne 201 dans la région d’Agadez, dans le centre du pays et, selon le New York Times, d’une base secrète de la CIA installée dans le désert, à Dirkou, au Nord.[1] La France, elle, compte 1.500 soldats au Niger et y dispose d’une base militaire commune avec les États-Unis. Après le retrait des troupes françaises du Mali et du Burkina Faso, le Niger était devenu le pilier de la nouvelle stratégie de la France au Sahel.[2]
Par ailleurs, la présence militaire américaine et française peut être difficilement décorrélée de la volonté de sécuriser leur accès aux ressources énergétiques et minérales dans le Sahel.[3] 7e producteur mondial d’uranium[4], le Niger est l’un des principaux fournisseurs de la France et y représente près de 20% de l’uranium importé.[5] Pour la France, l’uranium nigérien représentait une ressource d’accès stable dans un contexte plus favorable à l’énergie nucléaire et un élément de puissance militaire, la France étant le 4e pays au monde en nombre d’ogives nucléaires.
La configuration géopolitique internationale, le contexte politique sous-régional et la force des changements en cours en Afrique francophone devrait inciter la France à agir avec sagesse. Contrairement aux États-Unis qui ont poussé à la négociation avec les nouvelles autorités nigériennes, la France continue de faire preuve d’une fermeté qui l’expose comme une force agissante derrière la CEDEAO. La France doit militairement quitter le Niger pour tenter de rester dans la région. Elle doit faire le choix cornélien, mais nécessaire, d’amputer sa main au Niger pour éviter une généralisation aggravante du cancer qu’elle a contribué à y créer. Son entêtement à maintenir des soldats au Niger pourrait marquer un enterrement de ses intérêts sur le continent pour longtemps.
Ce mercredi 30 août, la multiplication des coups de force en Afrique de l’Ouest, tel un effet domino, a touché l’Afrique centrale avec le coup d’Etat militaire au Gabon. C’est une onde de choc qui est ressentie dans certaines dictatures d’Afrique centrale qui pourraient aussi tomber tels des fruits mûrs. Aux populations et à l’intelligentsia africaines de relever les défis posés par la nouvelle donne. A elles de transformer les nouvelles circonstances en gains politiques en termes de souveraineté, de démocratie et de progrès économique.
[1] Le Figaro, 8 août 2023, www.lefigaro.fr/international/drones-base-secrete-de-la-cia-millions-de-dollars-d-aide-pourquoi-les-americains-sont-au-premier-plan-au-niger-20230808 ; New York Times, September 9, 2018, www.nytimes.com/2018/09/09/world/africa/cia-drones-africa-military.html
[2] Le Parisien, 2 août 2023, www.leparisien.fr/international/crise-au-niger-quel-avenir-pour-les-bases-militaires-francaises-au-sahel-02-08-2023-YYGRLNLUGJHMRL5GQJLCXPZTRU.php
[3] L’Humanité, 10 janvier 2011, www.humanite.fr/09_01_2011-avec-ses-richesses-naturelles-le-sahel-est-un-espace-tourment%C3%A9-et-convoit%C3%A9-461908
[4] World Uranium Mining Production, August 2023, https://world-nuclear.org/information-library/nuclear-fuel-cycle/mining-of-uranium/world-uranium-mining-production.aspx
[5] Le Monde, 3 août 2023, www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/08/03/a-quel-point-la-france-est-elle-dependante-de-l-uranium-nigerien_6184374_4355770.html
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